Aller au contenu principal Activer le contraste adaptéDésactiver le contraste adapté
Fermer

Dette publique : décarboner pour garder le AA ?
information fournie par Le Cercle des économistes 12/06/2023 à 09:53

Patrice  Geoffron
Patrice  Geoffron

Patrice Geoffron

université Paris-Dauphine

Professeur d'économie

https://www.dauphine.psl.eu/fr/index.html

Le coût de la décarbonisation a été posé au centre du débat : selon le désormais fameux rapport Pisani-Ferry (coécrit avec Selma Mahfouz), l'effort d'investissement annuel sera d'environ 70 milliards d'euros (plus de 2% du PIB). (photo d'illustration / crédits photo : Pixabay -  )

Le coût de la décarbonisation a été posé au centre du débat : selon le désormais fameux rapport Pisani-Ferry (coécrit avec Selma Mahfouz), l'effort d'investissement annuel sera d'environ 70 milliards d'euros (plus de 2% du PIB). (photo d'illustration / crédits photo : Pixabay - )

Le maintien de la note "AA" sur la trajectoire de la dette française par S&P est vu par le gouvernement comme une récompense pour sa politique. Mais selon Patrice Geoffron, Bercy a tort d'assurer que le recours à l'endettement pour décarboner l'économie n'est pas la solution.

En ce printemps, la question climatique a pris une tournure moins «théorique». Tout d'abord, la Première ministre a présenté les objectifs de planification écologique, permettant de toucher du doigt les défis : d'ici 2030, la France devra ramener ses émissions de CO2 de 420 millions de tonnes/an à 265 (avec des bouleversements à venir dans les transports, l'industrie, le logement, etc.) le tout dans le cadre de l'engagement de réduire celles de l'UE de 55%. Soit, d'ici la fin de la décennie, un effort plus important que celui accompli en 30 ans...

Par ailleurs, le coût de la décarbonisation a été posé au centre du débat : selon le désormais fameux rapport Pisani-Ferry (coécrit avec Selma Mahfouz), l'effort d'investissement annuel sera d'environ 70 milliards d'euros (plus de 2% du PIB). Logiquement, la question du financement de cet effort s'est immédiatement posée, les auteurs considérant que le surcroît de dépenses publiques flirtera avec la trentaine de milliards/an.

Les circonstances font que ce débat s'est cristallisé au moment où la notation de la France était examinée par S&P, avec un maintien de justesse du AA (contrairement à Fitch au mois d'avril). Dans ce contexte, Bruno Le Maire et Gabriel Attal se sont empressés d'affirmer que le recours à la dette pour décarboner la France ne saurait être la solution. Même si ces positions sont une posture, prenons nos argentiers au mot, et demandons-nous si ce veto est la meilleure manière d'assurer la soutenabilité à long terme de la dette.

Pour cela, il faut analyser les turbulences subies par notre économie ces dernières années : deux chocs énergétiques majeurs et une crise sanitaire massive.

L'inaction climatique n'a pas que des coûts globaux

Le premier des chocs est la crise des «gilets jaunes», avant toute chose résultat d'un doublement du prix du pétrole entre 2016 et 2018. Le deuxième de ces chocs est encore en cours, suite à l'agression russe en Ukraine, conduisant l'Europe à rompre les liens avec son premier fournisseur de fossiles. Ces deux chocs rappellent que nous importons 99 % de notre pétrole, 98 % de notre gaz, et que notre addiction aux fossiles nous met régulièrement en stress extrême. Et, mécaniquement, l'État est alors contraint d'être « l'assureur en dernier ressort », alourdissant la dette de dizaines de milliards d'euros.

Concernant la crise sanitaire, de nombreux travaux issus de la recherche médicale (de l'Inserm notamment) ont établi que sa violence a été aggravée dans les métropoles dont l'air était dégradé. Les mécanismes sont assez clairs : des populations soumises à des pollutions de l'air sont fragilisées (avec plus de facteurs de comorbidité), avec directement plus de pression sur les systèmes de santé, plus d'obligations de confinement et un rehaussement du « quoi qu'il en coûte ».

De telles analyses sont particulièrement frappantes dans le cas de l'Ile-de-France par comparaison aux villes de la côte Atlantique (de même, par ailleurs, que pour la Lombardie, principale région industrielle d'Italie). Autrement dit, si la France avait été d'ores et déjà plus décarbonée, une partie des centaines de milliards d'euros mobilisées pour traverser la crise sanitaire aurait pu être épargnée.

Ce qui revient à dire que l'inaction climatique n'a pas que des coûts globaux (sécheresse dans l'Ouest américain, submersion d'îlots dans le Pacifique …), mais également des conséquences ici et maintenant dans notre collectivité. Le tour de force est d'expliquer aux agences qui notent la France (et ses voisins) qu'accélérer la décarbonation est la meilleure garantie qui leur soit offerte (la seule, en fait). A contrario, il fait peu de doutes que le statu quo serait une impasse, pour la France et ses bailleurs. Le discernement de la France dans son modèle de décarbonation est un enjeu qui dépasse le strict périmètre de l'Hexagone : la Nation où s'est scellé l'Accord de Paris ne peut échouer dans sa mise en œuvre.

8 commentaires

  • 16 juin 07:57

    La gouvernance par la peur . Le drame est que tant et tant de gens y croient .


Signaler le commentaire

Fermer

A lire aussi

  • Anne-Marie Seye (à droite), 16 ans, mère d'un bébé de 6 mois, se promène avec Lou-Anne Begue, 17 ans, et son bébé de 11 mois, dans la réserve naturelle de la baie de Somme, le 30 juillet 2025 ( AFP / Sameer Al-DOUMY )
    information fournie par AFP 10.08.2025 10:06 

    "Après avoir accouché, je n'avais plus de copines": comme pour Bérénice, la maternité précoce expose à l'isolement et au décrochage scolaire. Un constat à l'origine d'un dispositif d'accompagnement de mères adolescentes dans le Pas-de-Calais. Chapeaux, crème solaire, ... Lire la suite

  • Vue aérienne d'un coeur tracé dans un champ de maïs transformé en labyrinthe à Soultz, dans le Haut-Rhin, le 6 août 2025 ( AFP / FREDERICK FLORIN )
    information fournie par AFP 10.08.2025 10:01 

    Grand blond au franc sourire, cheveux en chignon, Lucas Kessler a réalisé son "rêve de gosse": il a installé deux labyrinthes géants dans ses champs de maïs à Soultz (Haut-Rhin), dans le but de "changer la vision des gens sur la profession". Au pied des Vosges, ... Lire la suite

  • Emmanuelle  Bernier marche au milieu de ses brebis dans sa ferme détruite par l'incendie, à Fontjoncouse le 9 août ( AFP / Idriss Bigou-Gilles )
    information fournie par AFP 10.08.2025 09:54 

    Les brebis d'Emmanuelle Bernier quittent les terres brûlées de Fontjoncouse, dans l'Aude, sous le regard brisé de l'éleveuse, forcée de confier provisoirement ses bêtes à un viticulteur du secteur qui recueille les animaux de ces paysans qui ont tout perdu. Le ... Lire la suite

  • Le drapeau du FLNKS devant le sénat coutumier à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie ( AFP / Delphine Mayeur )
    information fournie par AFP 10.08.2025 08:57 

    Le Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) fera connaître mardi sa position sur l'accord signé mi-juillet avec l'Etat et les non-indépendantistes, ont indiqué dimanche à l'AFP des responsables du mouvement. L'issue ne fait guère de doute: l'ensemble ... Lire la suite

Pages les plus populaires